Interview de Magali : La vie est belle !

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Une rencontre devenue une solide amitié Notre vie est faite de multiples rencontres. Aussi diverses soient-elles, elles façonnent notre existence et la perception que nous avons de celle-ci et de nous-même. Certaines vous marquent plus que d’autres. C’est l’histoire d’une rencontre qui m’a fait prendre conscience de l’impact que peut avoir le regard de n’importe…

15 octobre 2005

Une rencontre devenue une solide amitié

Notre vie est faite de multiples rencontres. Aussi diverses soient-elles, elles façonnent notre existence et la perception que nous avons de celle-ci et de nous-même. Certaines vous marquent plus que d’autres. C’est l’histoire d’une rencontre qui m’a fait prendre conscience de l’impact que peut avoir le regard de n’importe lequel d’entre nous sur l’autre, une rencontre qui a induit chez moi de multiples réflexions sur la différence, une rencontre avec le handicap, son quotidien, les sentiments qu’il peut susciter…

C’était voici il y a un peu plus de trois ans. Alors étudiante à l’université du Mans, en France, ma formation en Economie Sociale me conduit en février 1999 dans ce pays si proche et qui pourtant m’était si inconnu : la Belgique. Une association de financement alternatif m’accueillait en stage à Liège pour une période de trois mois. Je fis donc connaissance avec l’ensemble de cette sympathique équipe et plongeai à la découverte du financement solidaire, des Belges et de la Belgique, de son monde associatif…

Au sein de cette équipe, il y avait André, ce monsieur barbu, proche de la cinquantaine, l’air très sérieux, marchant en boitillant. C’était la clef de voûte de l’association, il en était un des fondateurs. Au début il m’intimidait, puis au fil du séjour, nous avions de plus en plus d’échanges. Il m’orientait dans mes démarches. Il me narrait avec passion et précision le fonctionnement de l’association, son histoire, les fondements et principes de l’argent éthique…Les discussions devinrent de plus en plus vastes : économie, politique, histoire, écologie, musique, cuisine, les régions et contrées belges…mais aussi et surtout, nous parlions de l’un et de l’autre, de nos valeurs, de nos convictions, de nos proches, de nos ressentis, … André avait à mon égard une attitude, comment dirais-je, « bon père de famille », très hospitalière, attentionnée, à l’écoute et pleine de tendresse (cette jeune française, seule, en terre inconnue !!!!).

Bien évidemment, j’avais remarqué qu’André était handicapé. Sa façon de se déplacer, le fait qu’il portait des chaussures orthopédiques parlaient d’eux-mêmes. Dans nos nombreuses discussions, nous n’avions jamais abordé ce sujet. Non pas que je n’étais pas disposée à écouter, mais c’était si André en avait envie et surtout s’il en ressentait le besoin. Bien sûr, je m’interrogeais sur son handicap. Cependant, avant tout, ce n’était pas la personne handicapée que je voyais chez André, mais l’individu André à part entière.

Un soir, alors que nous n’étions plus que tous les deux au bureau, (je travaillais à l’étage, lui au rez-de-chaussée), je me mis à l’appeler à plusieurs reprises. Je sentais qu’il se passait quelque chose d’anormal. Mes appels demeuraient sans réponse. Un peu de temps s’écoula. André était enfermé aux toilettes, il me dit qu’il avait un souci médical. J’étais perdue, ne sachant pas bien que faire et de quoi il retournait exactement. Une heure peut-être se passa, je ne sais plus très bien.

Cet incident provoqua alors ce qu’André avait toujours fui jusqu’à présent, sans doute le moment était-il propice et se sentait-il obligé de me fournir quelques explications : il me parla de son handicap, et du SPINA BIFIDA.

Ma découverte du SPINA BIFIDA, etc.…

La première discussion fut plutôt purement technique et médicale. Le sphincter, l’incontinence et les différents problèmes urinaires, les difficultés de déplacement, les opérations…Cela aurait pu sembler gênant, mais cela ne l’a pas été. Je posais avec une certaine naïveté les questions que suscitait chez moi un tel sujet. Les mots venaient tout naturellement. Mes premières réactions mêlaient à la fois étonnement, interrogation, admiration.

Je ne réalisais pas ce qu’André avait pu ou pouvait vivre réellement. Ce qui, je crois, m’a le plus marquée à ce moment là, c’est le récit des multiples opérations et dispositions médicales Échos de l’ASBBF n° 1 — Mai 2002 Extrait 2 Témoignage de Magali : La vie est belle ! qu’il a dû supporter et doit supporter encore, mais aussi la manière dont il en parlait, avec « détachement ».

Par la suite, je sentais qu’André était à la fois libéré et gêné de s’être ainsi dévoilé auprès d’une personne qu’il connaissait depuis si peu, et qui, de plus, est une femme. Mais un climat de confiance s’était installé entre nous depuis l’incident. Au fil du temps, André allait plus loin dans ce besoin de parler : il aborda des discussions plus profondes et très personnelles sur sa relation à l’autre et le handicap. L’autre, c’est à la fois l’inconnu, le simple passant, le voisin mais aussi et surtout les proches ; son épouse, ses enfants, ses parents, ses amis…. Nous échangions sur la paternité, le couple, l’éducation et l’enfance… et ce de façon très sincère et critique sur l’un et sur l’autre. Nos différences bousculaient nos certitudes. Mon insouciance, ma vivacité et ma nonchalance s’opposaient à sa rigueur et à son sens de l’organisation. Ma jeunesse et la façon de mener ma vie (par exemple partir seule trois mois, mon goût de l’imprévu, la relation avec mon ami…) l’interpellaient, tout comme son vécu et son engagement dans la vie pouvaient moi-même m’interpeller.

Je savais qu’un lien fort et particulier s’était noué avec André. Il n’avait jamais parlé de son handicap avec ses collègues, ses proches, amis, ses enfants…la seule personne avec laquelle, il partageait tout cela était son épouse. Le fait de s’être ainsi confié à moi signifiait beaucoup et j’en avais conscience. Cependant, je ne pensais pas que cela aurait tant chamboulé André. C’est sa venue au Mans, dans le cadre de ma défense de mémoire, qui m’a fait comprendre qu’un bouillonnement psychologique s’opérait en lui. Tout d’abord, par ses réactions à la fois exaltées et angoissées à l’idée de partir seul en voyage (« comme un enfant ») puis, par les discussions que nous eûmes durant ces quelques jours. André était entraîné dans une tornade de questionnements et d’émotions : besoin d’en savoir plus sur son handicap et son origine, de percer des non-dits, sentiments de colère, de regret, de doute… Une remise en question d’une partie intégrante de lui, son handicap, qu’il avait si je puis dire, « occultée » tout au long de sa vie et en même temps sur laquelle sa personnalité s’était construite.

A la suite de ce séjour, André a poursuivi, non sans douleur, son cheminement. Il se mit à m’écrire et à me solliciter beaucoup. Ses attentes à mon égard, que je ne cernais pas toujours très bien, me semblaient démesurées. Je ressentais une disproportion entre ce que j’avais fait et ce que tout cela avait provoqué chez André. En fait, je n’avais fait que d’être là à certains moments et écouter. C’était à lui de trouver ses réponses, certes je pouvais l’y aider par mon écoute et mes réflexions, mais c’était tout. Je lui fis part de ce sentiment d’oppression que j’éprouvais, ce qu’il comprit et ce qui certainement le blessa.

Depuis, André a poursuivi son chemin en effectuant un travail très riche sur lui-même et sur la connaissance du Spina Bifida. Cette longue quête lui a permis de répondre aux principales questions qu’il se posait et par conséquent lui a apporté une certaine paix intérieure ainsi qu’un sentiment de liberté retrouvée. Sans doute demeure-t-il encore incertitude et amertume. Mais, je crois aussi que nous, êtres humains, sommes ainsi faits, de complexité et d’éternelle insatisfaction.

Cette rencontre a certainement eu plus d’impact sur l’existence d’André que sur la mienne. Mais elle a entraîné chez moi une multitude de réflexions relatives au handicap et à ma relation avec l’autre.

Le fait d’avoir partagé au quotidien des tranches de vie avec André m’a permis de mieux comprendre ce que pouvait éprouver une personne handicapée dans notre société qui aurait tendance parfois à l’oublier ou à la stigmatiser. Des faits et gestes qui peuvent me sembler si simples et si anodins revêtent une tout autre dimension chez André. Par exemple, partir quelques jours ou juste une nuit de chez moi, à l’imprévu, est chose courante pour moi et non problématique, alors que pour lui cela provoque à la fois excitation, appréhension et organisation Échos de l’ASBBF n° 1 — Mai 2002 Extrait 3 Témoignage de Magali : La vie est belle ! rigoureuse. Les contraintes qu’André doit supporter dans sa vie quotidienne m’ont également fortement sensibilisée au rôle que l’ensemble de la collectivité doit tenir afin que la personne handicapée trouve sa place dans notre société et s’y sente bien. Plus précisément, je pense au rôle déterminant que doivent jouer les pouvoirs politiques : par des aménagements adaptés permettant l’accès des lieux publics à la personne handicapée, par une législation cohérente en matière de prise en charge des soins, par le soutien aux associations ou aux divers organismes oeuvrant dans le domaine du handicap et de la recherche…

Ce qui m’a le plus touchée chez André, ce ne sont pas les douleurs et les désagréments physiques liés au handicap mais les blessures morales qui peuvent en découler : les obstacles permanents qui génèrent frustration et sentiment de liberté entravée, ce sentiment de honte et de rejet de soi. Un jour, alors que nous nous promenions dans les rues mancelles, nous sommes passés devant le cinéma, c’était vraisemblablement l’heure du film, il y avait la queue à l’entrée. En fait, moi, je n’y avais pas prêté beaucoup attention. A cet instant André m’a dit ceci : « Quand je croise ces regards qui se fixent sur moi , dans ces momentslà, j’aimerais m’enfouir sous terre… ». Cela m’a fait mal.

Les différents états d’âme d’André m’ont ainsi plongée dans une profonde réflexion relative à l’acceptation de soi. Et je pense qu’aussi différents que nous soyons, nous y sommes tous confrontés. En effet, le fait de s’accepter est conditionné par de multiples facteurs qui nous sont propres : notre éducation, l’amour et la confiance que nous avons reçus, le vécu que nous portons, nos rencontres, nos bonheurs, nos échecs…Et bien entendu, l’image que l’autre nous renvoie de nous-même. Cela peut paraître déplacé pour moi qui dispose de toutes mes facultés physiques et mentales de tenir de tels propos. Mais c’est vraiment ainsi que je le ressens moimême avec mes complexes, mes doutes, ma volonté d’être fidèle dans la vie aux valeurs que je défends et de donner un sens à mon existence… Par ailleurs, l’exemple de cheminement de proches me conforte dans cette idée. C’est particulièrement à Stéphane, un bon ami, auquel je pense aujourd’hui. Il était plutôt bel homme, sportif, intelligent, plein d’humour, toute la vie devant lui…Certainement qu’il ne s’acceptait pas, qu’il n’acceptait pas son existence : il avait 23 ans, il s’est suicidé.

Je crois qu’il en va de même en ce qui concerne la sexualité, sujet que nous avons fréquemment abordé avec André. Il avait à cet égard un sentiment « d’anormalité ». Mais qu’est-ce que la sexualité normale ? Là aussi, chacun en a une vision, un besoin, une manière de la vivre bien à lui… et en retire un épanouissement qui est bien personnel.

J’aurais encore beaucoup de choses à dire sur les questionnements qu’ont suscités chez moi nos multiples discussions, notamment la question de l’avortement. Mais, dans un tel exercice, il est difficile de tout exprimer. Je terminerai donc ce récit par un point qui me semble fondamental : l’importance de l’information et de la connaissance de l’autre. En effet, l’inconnu peut faire peur. Je suis persuadée que nombre de situations de malaise résultent de malentendus et de méconnaissance. Par exemple, le regard que peut porter une personne valide sur une personne non valide est à mon sens parfois mal interprété. Il ne faut pas que la personne handicapée se sente continuellement rejetée. Sans doute ce sentiment est-il justifié par la réaction de personnes plus ou moins mal-attentionnées. Mais je pense qu’il est aussi le fruit de maladresse et d’ignorance. Il faut donc s’ouvrir à l’autre pour que l’autre sache quelle attitude adopter. C’est donc ensemble, mutuellement, que nous devons combattre les préjugés et communiquer pour comprendre la différence. Je veux parler bien entendu des rapports entre individus handicapés et non handicapés mais aussi de façon plus générale de la relation à la différence, qu’elle soit ethnique, culturelle, religieuse… A présent, quand André vient séjourner chez moi, je connais ses limites, ses besoins, les dispositions à prendre… c’est tellement plus simple à vivre, pour lui, pour moi.

Pourquoi témoigner ?

Transmettre, témoigner, partager par écrit ce que l’on a vécu, nos expériences et ressentis n’est pas exercice aisé. Difficile de trouver les mots justes, ceux qui sont les plus fidèles à ce que nous voulons dire et à ce que nous sommes…

Ce témoignage est en quelque sorte pour moi une manière de remercier André pour ce qu’il est, ce qu’il m’a apporté et ce qu’il m’apporte. Du haut de mes 25 ans, j’admire cet engagement dans la vie qui est le sien, le couple qu’il forme avec Brigitte et la force qui s’en dégage… Je veux donc lui dire que je l’apprécie tel qu’il est, qu’il ne faut pas vivre de regret, que sans ce spina bifida, il n’aurait sans doute pas mené cette existence si riche… en espérant que la mienne le sera tout autant.

Enfin, par ce témoignage, j’avais juste envie de dire à ceux qui me liront, qui se sentent seuls et qui n’osent pas aller vers l’autre, de franchir le pas. Certes, la société actuelle est une société basée sur l’individualisme, la consommation à outrance, la recherche du beau et de la perfection…Certes il est difficile d’aller vers l’autre, de trouver une oreille attentive qui nous écoute, qui nous comprend ou du moins qui essaie de le faire…Mais, je crois en l’être humain, à la richesse de la différence qui constitue notre monde… Je crois aussi que notre société est celle du partage et de la solidarité : la preuve, cette association. Qu’elle permette donc à chacun d’y trouver ce qu’il y cherche… Bonne route à l’association, à tous, car malgré tout, la vie est belle.

Témoignage de Magali

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